Humeurs de confiné
Je maussade. Ça sonne comme un début d'histoire d'espionnage au Moyen-Orient. Pourtant rien d'aussi romanesque. Je spleene. Je fleurdumalise. Chuis bof ! Pô envie ! Je me traîne entre deux repas, entre deux séries Netflix, entre deux parties de solitaire, entre deux sommeils agités. Cette nuit, j'ai rêvé que c'était mon premier jour de travail dans un bar de station-service (ça existe ?). Je servais de la salade à Régine, une Regina à Scaramanga, je paniquais ne sachant pas préparer le cocktail qu'on me demandait, un Toutou Fontenoy. Inventez-moi la recette que je sois prêt la nuit prochaine.
En ces lieux, mon taf consiste à vous anesthésier le quotidien en musclant, par petites touches, zygomatiques et culture 360 degrés. Depuis que nous sommes tous enfermés, que j'ai fichtrement du temps pour explorer mon monde intérieur, ma nostalgie et mes envies afin d'en malaxer l'essence et partager mon raffinage avec une audience record, je n'arrive plus à écrire un article. Avouez, c'est ballot. Ce ne sont pourtant pas les idées qui manquent. J'ai un doc dopé d'inspi en tout genre, un feu d'articles d'idées, des bouts d'articles, plein de liens, le tout sur 1845 lignes précisément. Pas une histoire de carburant. C'est l'essieu qui pêche. Les cieux me manquent. Nos fenêtres sont devenues des écrans 3D aux doux haut-parleurs. Le silence extérieur est un don d'habitude. Aujourd'hui, il m'angoisse. Les atouts d'hier sont mes freins d’aujourd’hui. J'ai bien essayé, plusieurs fois, de me forcer la plume. Ça s'en va et ça revient. Ça accouche de tout petits riens. Je suis désolé. Je ne suis pas à la hauteur de la situation.
Vous savez, c'est comme quand on se fait larguer par l'être aimé. Au lieu d'écouter Tirelipimpon sur le chihuahua pour se décolorer les idées noires, on se noie dans la mélancolie d'une sad song gluante, qu'on se passe en boucle, en délissage brésilien, en infini plus un. On se complaît dans l'abîme qui abîme. On préfère une nuit sans lune au ciel bleu sans nuages. Et ça fait bim bam boum, dans ma tête y a tout qui tourne. La dynamo ne touche pas le pneu. J'ai pas le bon braquet. Le confinement, c'est du surplace en boîte.
C'était sans compter sur le coup de pied "salutaire". Un article du Parisien relatant une histoire qui m'a foutu les poils d’écœurement, la nausée et les mains sales malgré le gel hydroalcoolique (tu l'as la réf à Desproges ?). Du frisson de haine que j'ai primalement ressenti, j'ai voulu user de mots, de temps pour m'emporter le moins possible, d'une tempérance surhumaine. Aimer l'humanité en son entier, l'excuser de ses péchés demande un effort qu'aucun dieu n'a pu tenir. La raison pour laquelle nous sommes seuls depuis tant de siècles, à faire des conneries, à détruire la planète à petit feu, à manger du pangolin, à oublier les tranches fines de cornichons malossol dans les burgers. Parce qu'il faut le dire à leur décharge, en temps de confinement, les ordures sortent du bois.
C'est vrai, ça fait trois semaines que j'oublie de sortir la poubelle jaune. On sait plus quel jour on est. C'est chiant. Mais je ne parle pas de ces déchets là. D'autres. Des humains. Bien que ça me fasse pisser le dargeot à la tomate (so OK boomer !) de m'imaginer partager le même genre avec ce regroupement de cellules approximatifs.
L'action se passe à Montpellier. Une belle ville qui, comme d'autres, tous les soirs à 20 heures, fait du bruit pour soutenir le personnel soignant, nos soldats du front, nos belles âmes sacrificielles. Ça mange pas de pain. Ça fait plaisir. Et puis il faut avouer que ça permet de passer une tête au dehors, se reposer le binge-watching, s'enfiler un air plus pur que d'habitude dont l'effet de la prime bouffée s'apparente à la première Camel du matin. C'est beau. C'est émouvant. Y aurait presque réconciliation avec la nature humaine dont on connaît l'extrême volatilité en cas d'enjeu de première nécessité et de papier cul. Et puis il y a la sous-merde, l'inconcevable connard, la maudite engeance. Je te le donne en mille, c'est du proprio. Comme chante Didier Super, y en a des biens. Certes, mais dans ma longue carrière de locataire, à part l'exception qui confine à la règle, j'ai généralement assez peu goûté à ces spécimens. Pas de généralisation, pas d'amalgame, une expérience, la mienne.
C'est l'histoire d'une infirmière du CHU de Montpellier, de sa famille. Elle habite un appartement dont l'étage du dessus est détenu par leurs propriétaires. Déjà, mauvaise pioche. Mais dans une ville où les logements ne sont pas faciles à dégoter, y a souvent pas trop le choix dans l'habitat. Et v'là qu'arrive le pangolin virus. Tout le monde autour de moi cridorfraie tant la bestiole serait moche. Moi, j'y trouve du charme, du mimi tout plein, une pomme de pin sur pattes.
Ça commence par le chien de la famille qui prend la tangente par le portail de la résidence laissé volontairement ouvert. Puis surviennent coupure de courant, d'eau chaude, de chauffage, subtilisation de l'antenne TV, des bruits de meubles déplacés le matin tôt. Tout une stratégie mise en place pour inciter les locataires du bas à se casser fissa parce qu'on veut pas de ça chez nous, parce qu'elle va nous faire crever en ramenant la saloperie chinetoque, et autres joyeusetés du même acabit. Le confinement républicain habite au 21, mais au premier étage. Ces décérébrés, au lieu de fêter le courage, s'enferment dans leur savoir mité. Même la définition du confinement, ils ne l'ont pas. Je leur cracherais à la gueule si le geste n'était pas assassin. Je retiens mes bas instincts, mes qualificatifs les plus crus. Mais je retiens.
Vendredi, lors d'un live très intéressant sur la chaîne YouTube du Frames Festival, Nota bene soulignait que les réactions de solidarité et de dégueulasserie étaient exactement les mêmes depuis la grippe espagnole. Un siècle passe et l'animal social se complaît dans l'immobilisme. L'homme n'apprend que très peu de ses erreurs. Loin dans l'Histoire, loin de la mémoire. Je ne souhaite pas la mort à ce couple déjà putride du premier étage. J'extrude juste ma colère en mots. Je les plains même de leur crasse bêtise. Il n'y a pas plus bas dans l'échelle de l'humanité que les méchants imbéciles, si on excepte les briseurs d'enfance et de vie. J'espère seulement qu'ils se calfeutrent bien tous les soirs à 20 heures pour éviter de se faire piquer par un moustique covidé.
Parce que si, en plus, ils applaudissent...