Le second degré pour les nuls
Il est grand temps de passer par la case "je suis putaclic et j'aime ça". Si vous vous êtes un peu intéressé aux origines de ce blog, vous savez qu'une première version a fait les beaux jours du web de 2006 à 2011. Et c'est en me souvenant de son existence il y a quelques mois, petit coup d’œil à l'appui, que j'ai été surpris par des statistiques toujours au beau fixe malgré les années d'inactivité. Il n'en fallait pas plus pour me décider à remettre le couvert sous une autre forme. Les premiers articles du présent blog sont ni plus ni moins des resucées de ceux parmi les plus visités de la version 1.0. Et, donc, de temps en temps, j'y plonge à nouveau le bras jusqu'à l'épaule pour en extraire de nouveaux sujets toujours appréciés.
Pour être très honnête, je ne comprends souvent pas l'engouement que peuvent susciter les articles du Top 10 de cette période. Déjà à l'époque, je m'amusais à créer des listes sur des sujets on ne peut plus incongrus. Quand j'ai mis en ligne une liste de personnalités de petite taille, c'était pour le fun. J'étais très second degré, pour enfin aborder le thème promis. Quand je les ai repris ici, à l'aune des chiffres de visites, c'est affublé d'un navrant premier degré que j'ai œuvré. Je me disais que ces articles représenteraient un bon socle pour un nouveau départ. Bingo. Passé la curiosité des premiers jours et après les partages sur les réseaux sociaux, les articles qui intéressent le plus restent les mêmes qu'avant. Étonnant, non ?
Ni une, ni deux, partant du principe qu'on ne change pas une équipe qui gagne, aujourd'hui, je vais honteusement me pomper - ce qui ne m'attribue pas pour autant une souplesse incroyable - et reprendre, en lui apportant tout de même un bon coup de plumeau, mon explication du second degré d'alors qui, d'ailleurs, n'est pas tout à fait la mienne puisque je l'ai adaptée d'une définition trouvée sur un site qui n'existe plus aujourd'hui. Inception de pompages.
Je me dis parfois que celles et ceux qui arrivent sur les pages de l'Impossible Dictionnaire, comme ça, sans explications, alors qu'ils cherchaient sérieusement sur Google une définition doivent se demander où ils sont tombés. Ils se brûlent au premier degré et évacue fissa, se promettant de ne plus jamais y remettre ni les yeux ni aucun autre organe vital. L'intégrité du corps leur importe autant que l'intégrité tout court. Cours, donc si tel est ton choix, homme de peu de degré. Ça marche aussi pour les femmes. Pourtant, je suis sûr qu'avec un peu de recul, la plupart resterait sur le dico rigolo, peut-être même s'y plairait-il.
Quel ne fut pas mon ravissement, à l'époque, de tomber sur la définition suivante, une belle leçon de second degré avec exercice pratique et tout, et tout !
Définition : Le second degré, en opposition au premier degré, qualifie un propos qui ne doit pas être pris "tel quel", le sens réel pouvant être contraire au sens perçu.
Mais voilà, c’est bien compliqué tout ça, car de nombreux éléments peuvent influer sur le degré d’une affirmation. Un exemple s'impose.
- Hello Kitty, c’est pour les pédés !
Difficile, sans plus d’information, de connaitre le degré de cette phrase. Mettons-la en situation :
Stéphane Laplaque, directeur artistique, en couple depuis 9 mois avec Jean Leprêtre balance :
- Hello Kitty, c’est pour les pédés !
Maurice, chasseur, veuf, adhérent au Rassemblement National, éructe :
- Hello Kitty, c’est pour les pédés !
Sentez-vous la nuance malgré mon gros effort de caricature ? Bravo ! La première phrase est au second degré, la suivante au premier degré.
Je me suis amusé à rechercher sur le net une définition plus récente. Je n'y ai pas passé des plombes mais entre les équations au second degré, le second degré de l'enseignement - le collège et le lycée, quoi ! - et les brûlures, je n'ai pas trouvé grand chose. La faute, sans doute, à ce glissement de perception que nous avons connu entre la première version de l'article et aujourd'hui. Pour faciliter les choses, partons du principe que le fautif est unique, le politiquement correct.
Desproges disait cette phrase reprise depuis par tous les humoristes ou journalistes écrivant sur le sujet : "On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde." La citation a tellement été utilisée qu'elle en est devenue sèche, sans substance, sans force, comme une évidence qu'il devient idiot d'affirmer avec sérieux. Pour apprécier le second degré, il faut que l'auditoire connaisse la personnalité de celui qui le pratique et que celui-ci estime que les oreilles dans la confidence sont formées au même type d'humour. Baffie chez Ardisson, par exemple.
C'est en ce sens que le second degré balancé sur les réseaux sociaux est dangereux. Même entre amis virtuels ou entre twittos faisant partie de la même communauté, nul n'est à l’abri d'un mouton noir, d'une lecture premier degré ou d'un partage vers des contrées qu'on ne souhaitait pas atteindre. Ce qui est grave, à mon sens, c'est que le critère premier pour apprécier le second degré est passé de l'intelligence à la connivence, de la subtilité à la ressemblance. Manquer de second degré, c'est manquer de discernement en pratiquant le jeu de la connerie ambiante et galopante. Les limites sont propres à chacun. Une seule, à mon sens, n'est pas franchissable, celle de la peine. On n'est toujours premier degré quand on est triste.
Je ne sais pas si l'exemple que je vais évoquer est bien choisi mais il me revient au moment où j'écris ces lignes et sera au moins la preuve que se précipiter sans réflexion à la lecture de quelques mots qui vous choquent est une bien mauvaise habitude. Il date d'avant les réseaux sociaux. Je ne sais plus quelle était l'enseigne en question mais imaginons qu'elle s'appelle Boulangy ou Darter, une chaîne qui vend des TV, des chaînes-hifi, des lave-vaisselles et des réfrigérateurs. Ayant besoin d'un nouveau vendeur, l'enseigne passe cette annonce dans une revue spécialisée : "Recherche vendeur blanc, disponibilité immédiate..." Choquant, non ? Intolérable, même. C'est ce que s'est dit une association antiraciste qui a décidé de porter plainte après qu'un adhérant leur ait remonté l'information. Je rappelle que nous sommes dans une revue qui s'adresse à des professionnels connaissant les termes de la distribution en électroménager. Si vous ne maîtrisez pas ce langage sachez qu'on appelle "vendeur brun" celui qui s'occupe de vendre des produits tels que TV, Hifi, vidéo, des produits qui à l'époque était de couleur noire. En comparaison, un vendeur d'électroménager qui vend des produits souvent de couleur blanche, lave-linge ou congélateur par exemple, s'appelle "vendeur blanc". Ne jamais se précipiter dans ses colères pour éviter de passer pour un con.
Dans mes recherches, je suis tombé sur l'expression anglaise utilisée pour parler de second degré, tongue-in-cheek, littéralement "langue dans la joue". Bon, moi ça me fait plutôt penser à une simulation de - ou un invitation à - fellation. Mais ce qui est intéressant, c'est qu'elle n'incite pas à comparaison comme dans notre langue où on antagonise premier et second degré.
Côté français, le Wiktionnaire ne propose pas de définition mais des synonymes et une citation mettant l'expression en situation. Autoparodie, humour autoréférentiel. Cela donne le sentiment que le second degré ne parle que de celui qui le pratique, et peut-être sous-entend qu'il n'y a que lui qui peut vraiment le comprendre, lui ou ceux qui lui ressemblent suffisamment pour ça. La citation : "J'adore pratiquer le second degré mais pas avec tout le monde : il faut s'assurer avant que les personnes sont sur la même longueur d'onde." Elle donne à penser, comme l'évoque la citation de Desproges, qu'il faut être un happy few, un initié, pour comprendre l'abscons du second degré. C'est pas prendre un peu les gens pour des abrutis ?
Un ami - il se reconnaîtra - qui conçoit des attractions pour les parcs me racontait qu'il fallait toujours prendre en compte le plus imbécile des visiteurs possible pour prévoir et résoudre au préalable tous les problèmes qui pourraient passer dans la tête de cet individu vraiment lambda. L'exemple par le con. C'est aujourd'hui la norme qu'il faudrait appliquer pour l'humour. Pour ne pas vexer les plus faibles d'esprits, ceux qui n'ont pas la comprenette à bonne hauteur. La seule excuse que je trouve à cette façon de voir, c'est que, peut-être, nos contemporains sont effectivement plus cons qu'avant. Une conclusion en second degré... ou pas. 😉
Petit salut à dscherebu-edu !
Clermont. :-))