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Cultivons-nous gaiement avec le mot "rocambolesque" !

3 Août 2019 | L'Impossible Dictionnaire | 0 commentaires

Aujourd'hui, je vous convie à la première d'une série d'articles qui, je l'espère, aura longue vie. À partir d'un mot d'un seul, je déroulerai une histoire, j'expliquerai son origine, j'irai explorer des chemins de traverse qui nous mèneront dans des contrées foisonnantes plus ou moins éloignées du point d'origine. Pour que ce voyage au travers de la culture vous soit le plus agréable possible, comme à mon habitude, j'y mettrai de l'humeur, de l'humour et de l'étonnant. Et je peux vous promettre que pour ce premier mot, nous allons bien nous marrer.

Antonomase

Oui, bon, je ne suis pas sûr qu'on va se fendre la poire, là, tout de suite, mais il faut en passer par là. D'ailleurs, vous savez pourquoi on utilise cette expression "se fendre la poire" ? Rien à voir avec nos amis végans ravis de toutes ces formules prenant notre tête pour une salade de fruits, jolie, jolie, jolie : "te casse pas le melon" , "te fiche pas de ma pomme", "se presser le citron", "se gratter la courge", "en prendre plein la fraise"... Plein la poire, aussi. Et si l'individu porte un chapeau melon, ça fait corbeille de fruits. Eh bien, cela proviendrait d'une caricature dessinée par Charles Philipon qui, en 1832, représentait en quatre étapes la tête du roi Louis-Philippe se transformant en poire. Ce genre d'exercice pouvait être dangereux - un peu moins tout de même que de nos jours du côté de Charlie - puisqu'à la même époque, Honoré Daumier qui devint caricaturiste politique, justement, après sa rencontre avec Philipon, fut condamné à six mois de prison après avoir dessiné le même Louis-Philippe en Gargantua. Ah, qu'est-ce qu'on se marre !

Une antonomase n'est pas un fruit. Enfin, je ne crois pas. En ce qui nous concerne, il s'agit d'une figure de style dans laquelle un nom propre est utilisé comme un nom commun, ou l'inverse. Par exemple on dit un don Juan pour un séducteur, Don Juan étant un personnage de théâtre qu'on découvre pour la première fois au XVIIe siècle dans une pièce de Tirso de Molina. En France, on connaît plutôt la version de Molière. D'ailleurs il est d'usage d'écrire "Dom Juan" quand il s'agit du titre de l'œuvre de Molière, "Don Giovanni" quand il s'agit de l'opéra de Mozart, "Don Juan" quand il s'agit d'une autre œuvre. Et là, vous vous dites "ben alors, quand est-ce qu'on se marre ?" Non mais, attendez, je fais des efforts quand même. Si j'avais repris stricto sensu ce qui se trouve sur Wikipédia, vous auriez eu droit à ceci : "La dénomination par syntagme, dérivée d'une apposition dont le noyau syntaxique est sous-entendu, n’est pas une antonomase mais une ellipse ou une pronomination et s'apparente à une métonymie." Que celui qui comprend cette phrase me l'explique en commentaire, merci. Un Doliprane et je reviens...

Bref, le mot rocambolesque tire son origine d'un nom propre qui lui-même proviendrait d'un nom commun. Tourne, tourne, la farandole. Cet article ne deviendrait-il pas rocambolesque ?

Rocambole

D'ailleurs, je viens de me rendre compte que je ne vous ai pas donné la définition de rocambolesque. Ça serait peut-être bien que je le fasse genre là, maintenant, tout de suite, non ? Ce mot signifie invraisemblable, plein de péripéties extraordinaires. "Les Aventures du baron de Münchhausen" est l'exemple même du récit d'aventures rocambolesques. À la base, le rocambolesque est un genre littéraire issu du roman-feuilleton. 

Après les fruits, passons du côté potager de la force végan. Exit les hot-dogs du dernier article et bonjour, les aulx. Oui, quand on cause bien, au pluriel on ne dit pas des ails mais des aulx. Enfin, un ail en particulier, l'ail rocambole. Il est aussi appelé ail d’Espagne ou oignon d’Égypte. Si c'est pas rocambolesque, ça ! Selon le pays, il change de sexe, j'allais dire. En plus, on peut utiliser ses feuilles pour remplacer la ciboulette. Plus piquant et plus juteux que l'ail commun, son goût est considéré comme l'un des meilleurs parmi les aulx. 

Mais étymologiquons avant d'aller plus loin dans la farce qu'elle soit écrite ou avec de la bonne viande de bœuf hachée (désolé les végans, j'ai pas pu me retenir !). Rocambole vient de l'allemand rockenbolle, composé de rocken (du latin rotica, du verbe latin rotare, tourner) et de bolle, pour bulbe. Littéralement et lu en allemand, rocambole signifie "bulbe qui tourne".

Si on considère son nom scientifique, Allium scorodoprasum, on y découvre une réponse et une énigme. Allium signifie ail en latin. Logique. Par contre, scorodoprasum est la contraction de deux mots grecs : skorodon pour ail - au cas où on ne parlerait pas le latin, je suppose - et pradon pour... oignon. L'ail rocambole est donc un ail oignon-ail. On comprend mieux les autres appellations de la plante mais ce mélange de genres et de langues me semble pour le moins... oui, c'est ça, rocambolesque. Et que penser de cette citation issue de l'Encyclopédie oeconomique ou système général (1771) : "À Paris, on confond souvent la rocambole avec l’échalote, quoique deux plantes très différentes". Elle est pas choucarde, celle-là ? Bon, je crois qu'on a fait le tour des condiments alliacées. Cependant, le mot "rocambolesque" n'est pas un héritage de la plante. Enfin, pas directement.

L'Héritage mystérieux

Alors, c'est l'histoire d'un super-héros moitié homme, moitié ail, qui fait pleurer ses ennemis en se pelant la peau du... Non, non ! Rien à voir. L'Héritage mystérieux est un roman de Pierre Alexis de Ponson du Terrail dans lequel apparaît pour la première fois un personnage qui deviendra récurent dans l’œuvre de l'auteur, Rocambole. Âgé de douze ans, on le découvre bras droit du criminel sir Williams. Pour l'heure, Il tient un rôle tout à fait secondaire. Le récit, avant de sortir en une seule histoire brochée, sera au préalable publié du 21 juillet au 4 octobre 1857 en feuilleton de 58 épisodes sous le titre Les Drames de Paris dans le journal La Patrie.

Dès sa suite se déroulant quatre ans après le premier roman, Le Club des Valets-de-cœur, le personnage de Rocambole prend de l'ampleur (vive l'ampleur !) et monte dans la hiérarchie des malfaiteurs. Au fur et à mesure des intrigues, on sent que Ponson du Terrail lorgne vers Eugène Sue et ses Mystères de Paris ou encore du côté d'Alexandre Dumas et du Comte de Monte-Cristo. Le roman suivant Les Exploits de Rocambole annonce l'arrivée du personnage au rang de protagoniste principal mais, surtout, son évolution du mal vers le bien. Rocambole devient un vrai héros mettant au profit ses talents pour venir au secours d'une orpheline spoliée de son héritage. Au final, malgré la grosse production de l'auteur - imaginez qu'en fin 1865, il mènera de front cinq romans-feuilletons pour cinq journaux quotidiens - il n'y aura que neuf romans avec Rocambole.

L'art du feuilleton s'apparente à ce qu'on appelle aujourd'hui du page turner, une technique d'écriture donnant l'envie au lecteur de continuer à tourner les pages pour connaître la suite en finissant un chapitre ou un épisode par un cliffhanger, une situation dramatique mettant le protagoniste dans une situation périlleuse, par exemple. Au vu du nombre d’épisodes par roman, certaines situations au frontière du fantastique étaient parfois invraisemblables. On dira plus tard en hommage à cette littérature, rocambolesques.

La réputation de Ponson du Terrail, encore aujourd'hui, est celle d'un auteur à bourdes. En tant que feuilletoniste, il a l'obligation d'écrire vite, de peu se relire à cause de deadlines trop courtes. Il faut quand même se rendre compte qu'il écrira 200 romans et feuilletons en 20 ans. C'est énorme. Allez, c'est le moment de se marrer un peu avec ces quelques exemples de bévues :

Le vieux gentilhomme se promenait tout seul, dans son parc, les mains derrière le dos, en lisant son journal.

Il se précipita vers la fenêtre un pistolet dans chaque main et de l’autre il s’écria : "enfer et damnation !"

Voyant le lit vide, elle le devint.

Je pars pour la guerre de Cent ans.

Mais comme on ne prête qu'aux riches, des jaloux feront courir sur son compte d'autres bourdes littéraires. Ainsi, la plus célèbre d'entre elles, "Elle avait les mains froides comme celles d'un serpent." n'est pas de Ponson du Terrail mais serait due à l'homme politique et journaliste Robert Robert-Mitchell. La vraie phrase écrite par le feuilletoniste étant celle-ci : "Cette femme avait la main froide comme le corps d’une couleuvre."

C'est que Rocambole devient un véritable phénomène de société. Le succès de son auteur attise les mauvaises langues qui le surnomment "Tesson du Portail" ou "Ponton du Sérail". En s'inspirant de son style, ces jaloux lui prêtent des phrases telles que "D’une main il leva son poignard, et de l’autre il lui dit… " ou encore "Quand il se releva, il était mort.". Drôles, certes, mais pas de l'auteur présumé. Plus rocambolesques que Rocambole.

Voilà, c'est fini. Bon, tout compte fait, on ne s'est pas marré tant que ça, si ? Vous avez compris le principe. Le mot titre n'est qu'un prétexte pour dérouler des histoires, des anecdotes, des savoirs parfois oubliés, l'occasion de se oindre d'un onguent aux effluves futiles qui vous permettra, je l'espère, de briller en société. La curiosité est le fil bigarré d'une pelote de laine qu'on tire pour broder notre vie de couleurs joyeuses. Soyons heureux, cultivons-nous (et pas que des fruits ou des plantes potagères, hein !).

Sources : Wikipédia, medsyn.fr, ekopedia.fr, promessedefleurs.com, leboudoirdezigomar.wordpress.com, dicocitations.lemonde.fr, leslecturesdelonclepaul.over-blog.com

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