La galanterie, une pratique archaïque ? (part 2)
Dans la première partie de l'article, je posais la question du devenir de la galanterie, une pratique qui me semblait jusqu'à peu d'une politesse sans faille. De la synonymie à l'origine du concept avec quelques découvertes étonnantes.
L'Amour Courtois
Quel qu’en soit l'origine, tous les historiens s'accordent sur un tronc commun, l'Amour courtois, une façon d'aimer novatrice au Moyen-Âge. Courtoisie, respect et honnêteté avec sa ou son partenaire. Bien sûr, il était loin le temps de l'homme préhistorique qui trainait sa femme par les cheveux - bon, si ça se trouve, ce cliché n'a jamais existé - mais on ne peut pas dire qu'avant l'Amour courtois, la femme était considérée dans le couple. En grande partie, la faute en revient à l'église omniprésente dans tous les aspects de la vie de l'époque.
On trouve les premières traces de l'Amour courtois dans les poésies des troubadours du pays d'oc, l'Occitanie de nos jours. Il se développe à partir du douzième siècle dans des cours comme celle d'Aliénor d'Aquitaine. Bien qu'on parle de gentleman quand on évoque la galanterie, son origine est donc française. Puis, l'Europe l'adoptera. Exit les pratiques brutales tel que l'enlèvement, bonjour la chevalerie.
Plus, tard, les salons du dix-septième siècle font perdurer l'esprit. S'y réunissent sous l'égide d'une grande dame, telle Madeleine de Scudéry, écrivains et artistes qui font évoluer la courtoisie médiévale en lui insufflant plus de légèreté, voire de préciosité. C'est la naissance d’un mouvement littéraire avec les Œuvres de Monsieur Sarasin de Paul Pellisson et un discours qui théorise un nouveau mot : la galanterie.
D'où vient le mot galanterie
"Galanterie" viendrait du mot "Gale" qui, en ancien français, signifiait la réjouissance, le plaisir et l’amusement. La galanterie s’établit au départ dans un contexte de divertissements mondains avant de devenir une pratique à part entière. Par glissement, un "galant homme" devient un homme qui a le sens de l'honneur, qui se comporte avec loyauté, noblesse, générosité, sachant inspirer confiance.
Et le gentleman dans tout ça
Le gentleman anglais est le pendant du gentilhomme français. Cette notion nait à l'époque géorgienne. Chrnologiquement, on peut tout à fait imaginer qu'elle a été influencée par les salons français du dix-septième siècle évoqué plus haut. À l'origine, un gentleman appartient à la gentry, c'est à dire à la noblesse non titrée d'Angleterre. Il se distingue par ses qualités personnelles tout autant que par son statut de propriétaire terrien - le fameux gentleman farmer - et donc n'a pas besoin de se prévaloir comme en France d'une particule nobiliaire. Il remplace le franklin, qui, au Moyen Âge, occupait le rang le plus bas de la noblesse. Tout cela est très carré, très hiérarchisé.
Voici arrivé le passage obligé d'un article du Blog de l'Impossible Dictionnaire, celui de la liste. Voici classé du moins important au plus prestigieux, les rangs de la noblesse anglaise :
Gentleman
Écuyer (Esquire)
Chevalier (Knight)
Baronnet (Baronet)
Baron
Vicomte (Viscount)
Comte (Earl)
Marquis (Marquess)
Duc (Duke)
Dans l'Angleterre victorienne (pendant le règne de la reine Victoria, de 1837 à 1901), le concept de gentleman ne se limite plus à la définition d'une classe sociale. Il acquiert des aspects moraux essentiels liés au code de chevalerie du Moyen Âge. On le définit comme un produit d'une éducation, classique mais d'esprit ouvert, reçue dans l'une des grandes public schools (Eton, Harrow, Rugby...) quelles que soient ses origines sociales. D'où le dicton anglais, "il faut une génération pour faire un Lord, il en faut trois pour faire un gentleman".
Le temps de l'hostilité
Puis arrivent les détracteurs. Selon le triptyque "On lèche, on lâche, on lynche". La bonne idée du départ commence à sentir le vent tourner. Étonnamment, pas toujours pour les mêmes raison. Au dix-huitième siècle, la galanterie est jugée trop progressiste par un certain Jean-Jacques Rousseau. Dans sa Lettre à d'Alembert, l'écrivain-philosophe s'indigne de voir les Français accorder tant d'importance à l'esprit et au jugement des femmes. JJR aussi sympathique que JR de Dallas !
Puis, au vingtième siècle, arrive le féminisme dénigrant une pratique jugée archaïque, sexiste, discriminatoire mettant à mal à l'égalité homme femme. Simone de Beauvoir, dans Le deuxième sexe écrit à propos de la galanterie qu'elle est une contrepartie héritée des sociétés patriarcales visant à maintenir la femme dans son état d'asservissement.
Pour Peter Glick et Susan Fiske, deux chercheurs en psychologie sociale, la galanterie est une forme de sexisme bienveillant, plus insidieux que le sexisme hostile avec cependant les mêmes effets. Ils sont rejoints par Marie Sarlet et le professeur Benoît Dardenne de l'Université de Liège qui précisent qu'il est plus facile de maintenir des inégalités à travers une influence bienveillante et persuasive qu'en usant de moyens plus hostiles.
La galanterie vue par mes amis Facebook
Le fait de m'être posé la question, d'avoir effectué des recherches pour cette série d'articles, d'avoir synthétisé ce que j'ai appris sur le sujet de la galanterie, m'a ouvert les yeux. Cela m'a également amené à penser que les traditions, si elles ne sont plus en adéquation avec l'époque, doivent se perdre dans l'Histoire et ne pas perdurer. Un peu sous vos yeux, j'ai évolué dans ma pensée et dans mes certitudes. Je pense que je serai un peu meilleur au moment où je poserai le point final de cet article. Et j'aime ça !
Il y a cependant une phase dont je ne vous ai pas parlé et que j'aimerais partager avec vous. Avant de me lancer dans la rédaction de l'article, j'ai mis à contribution ceux qui me suivent sur Facebook en leur posant la question suivante : "J'ai une vraie question à laquelle je n'ai pas de vraies réponses : la galanterie est-elle, de nos jours, une forme de machisme, voire de sexisme ?"
Globalement, la réponse a été un grand oui. Et elle ne venait pas que des femmes. Il y a toutefois eu des avis féminins contraires : "Perso, j'aime les macho et j'aime les hommes galants. Le féminisme poussé à l'extrême est, à mon humble avis, ridicule."
Il a été question de "discrimination positive", de "forme abusive de politesse", de "très vieille France".
L'exemple de la porte tenue est revenu très souvent, chacun précisant qu'on pouvait tenir la porte à toute personne sans distinction de sexe, de la pure politesse, sans notion courtoise ou galante.
Des commentaires mettaient à mal ce que l'inconscient collectif qualifie de galanterie : "Le savoir-vivre et le bon-ton commandent à l’homme d’entrer en premier dans les lieux de restauration et d’ablution."
J'ai également reçu une info que je qualifierai de complotiste ne lui ayant pas déniché d'origine vérifiée dans mes recherches : "Quand on sait que ça a été inventé pour que ce soit les femmes qui prennent les coups de couteau dans le dos des assassins cachés derrière les portes au lieu des hommes..."
C'est bon de rire parfois
Le mauvais esprit qui sommeille en moi, sentant la fin de l'article, se sent l'obligation de préciser que parmi les exemples qui ont été cités dans les commentaires, aucun n'a abordé l'homme qui paye l'addition, qui offre des fleurs ou qui prend en charges les dépenses féminines. Cette part de la galanterie semble acceptable par une partie de la gente féminine, considérant sans doute qu'elle réunit plus d'avantages que d'inconvénients. Toutefois, comme par définition le mâle est radin, voilà peut-être le biais à utiliser pour faire passer le message et changer les mentalités machistes. 😉
Parce qu'il est bon de conclure par un sourire, je terminerai cette revue de commentaires de façon plus légère avec deux participations qui m'ont bien fait rire. Cette fois, je cite les noms parce que ce sont deux auteurs que vous connaissez peut-être.
Serge Scotto
Je pense qu'un honnête homme, vis-à-vis de lui-même se doit de renoncer désormais à toute galanterie... Ça va être dur en ce qui me concerne, question d'éducation, mais l'avantage c'est qu'au prochain naufrage du Titanic on n'aura plus besoin de laisser passer les femmes d'abord pour les canots de sauvetage.
Erik Wietzel
Moi je fais des croche-pattes à tout le monde, surtout aux plus faibles : ils ont plus de mal à me rattraper. Quant aux canots de sauvetage, eh bien je monte en premier dedans, avant même les prémices d’un naufrage, et je le mets à l’eau direct - ce qui m’a valu bien des déconvenues quand il a fallu effectuer une croisière à la rame en solitaire au lieu de lézarder peinard sur le pont au milieu de passagères dont j’aurais pu écraser les orteils ou, mieux encore, les doigts dans les portes revolver qui mènent au dancing.
Sources : Wikipédia, cnrtl.fr